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Utopia - Juliette M. More
15 mars 2008

Joies de la discussion et roman en procès

Cher Attik,

A quelques heures près, voici un mois que je suis parti voyager. Un mois, déjà ! Je n'ai pas vu le temps passer. D'ailleurs, je n'ai pas non plus l'impression d'avoir exploré tout ce qu'il était possible d'explorer dans la capitale, ni d'avoir observé tout que l'on peut observer. Je crois que mon séjour va durer beaucoup plus longtemps que prévu initialement. C'est étrange, ne trouves-tu pas, que je ne ressente absolument pas le mal du pays ! Peut-être est-ce parce que, patiemment, je me suis tissé ici un petit réseau de connaissances aimables avec qui je goûte régulièrement les joies de la discussion à bâtons rompus. Mon voisin de pallier est sans doute celui avec qui je passe le plus de temps. Nos débats me rappellent un peu ceux que nous avions, toi et moi, dans notre adolescence. Ils sont enflammés, et souvent mon voisin incarne en dépit de sa nature la voix de la raison face à ce qu'il appelle mes élucubrations. J'aime aussi la compagnie du patron du kiosque à journaux, qui a pris l'habitude de me voir arriver tous les matins sur le coup des dix heures, et je trouve désormais ma pile de journaux favoris qui m'attend là. Nous sommes devenus, sans nous en rendre compte, un rendez-vous quotidien, attendu et plaisant. De fait, il est rare que je ne passe pas une heure à discuter avec lui, même si, je dois bien le reconnaître, nous parlons le plus souvent de futilités. Mais, en somme, cela est assez agréable. Il me parle de sa famille, et de ses histoires, tellement incroyables et romanesques, que l'on se trouve content de vivre à notre époque : meurtres, règlements de compte, vols, duperies, adultères et autres mesquineries... Cela n'existe plus, avec les Pères et Mères de Quartier, désignés par la municipalité. Et heureusement pour l'équilibre des enfants ! Un jour, je te raconterai les incroyables histoires de mon vendeur de journaux : même nos pires romans n'oseraient pas être faits d'un pareil tissus de drames. Et pourtant, je me plais chaque jour à les écouter.

En parlant de romans, j'ai lu un article curieux, aujourd'hui, dans le Monde. Oh, cela passera inaperçu, car la thèse qu'il défend est insoutenable. Il s'agissait d'un article sur le roman de Mathieu Lindon, Le procès de Jean-Marie Le Pen, publié chez POL. Ledit Monsieur Le Pen a fait un procès à l'écrivain, sous prétexte que les propos qu'il lui faisait tenir dans le roman, n'étaient pas les siens. A quoi on lui a rétorqué : que vous importe, ce n'est qu'un personnage de roman ! Heureusement, les juges ont considéré qu'ils étaient qualifiés pour déterminer si les propos du personnage de roman exprimaient ou non la pensée profonde de l'auteur. Et l'avocat s'en indignait ! Comme si tout ce qu'un homme écrit ne reflétait pas à la lettre et sans ambiguité le fond de sa pensée ! Ah, voilà bien le danger des romans : sous couvert de fiction, personne n'est responsable des mots que l'on y trouve. Quelle subversion, alors... mais le croiras-tu ? Il existe encore des gens, au XXIème siècle, qui osent suggérer que la littérature doit rester un espace de liberté d'expression, et que les auteurs devraient être libre d'écrire même ce qu'ils ne pensent pas forcément. Alors que le roman devrait en fait n'être destiné qu'à la louange de la Vérité, que détiennent nécessairement les hommes qui sont au pouvoir ! Enfin, ce qui me rassure, c'est de voir que les mentalités sont en train d'évoluer. Alors qu'un Flaubert ou qu'un Baudelaire avaient honteusement échappé à la justice, voici que celle-ci apprend à s'ingérer et à s'imposer en littérature. Ce, pour le plus grand bien des peuples.

Mais, je te parlais de mon petit réseau de connaissances. J'y reviens. Il y a la bonne Madame Mervoeil, tu sais, cette femme que j'ai rencontrée dans le train. Nous nous voyons presque tous les jours à l'heure du thé, et c'est pour moi un bonheur. Elle me gave de sucreries antiques, dont le goût, j'ai honte de le dire, dépasse de bien loin celui de nos meilleures confiseries. Quel dommage que nos lois sanitaires empêchent les confiseurs de remettre au goût du jour de tels délices !

Ainsi donc, dans la seule compagnie de ces trois personnes, dans mes longues lectures de journaux, et dans mes flâneries postprandiales, je ne vois pas passer mes journées. Que de perte de temps, diras-tu ! Ah, non ! Dis plutôt que cet enrichissement est le seul qui vaille : je pourrai voir à mon retour tous les musées consacrés au Paris du XXIème siècle. Mais nulle part ailleurs que maintenant je ne pourrai aussi bien m'y immerger, y devenir un homme du passé. Voilà pourquoi je prends mon temps, comme je l'entends, "en dehors des circuits traditionnels" certes, mais avec un plaisir qui s'en trouve d'autant plus grand.

Que la lumière de l'empereur t'accompagne.

Ton ami, Cik.

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Commentaires
N
coucou. Merci beaucoup pour ton gentil commentaire. Là je sors des 23hbd, je ne pense pas pouvoir illustrer tes textes en ce moment, je suis en période pré-bac aussi ^^. Vraiment désolée, mais je peux un peu en parler à d'autres dessineux ;)<br /> Bonnne continuation
M
Pendant ces 2 jours ca me semble difficile, mais a partir de dimanche, je pense pouvoir m'y mettre^^
M
Si tu te sens partante, n'hésite surtout pas :) Merci d'avoir pris le temps de lire. Si tu as des idées, que tu veux en parler, (ou même des dessins déjà prêts (le rêve!!) n'hésite pas à m'envoyer un mail. (Je ne répondrai pas avant la semaine prochaine, pour cause d'absence de connexion internet d'ici là...)<br /> J'en profite pour rappeler ici que ce blog manque d'illustrations : avis aux dessinateurs de passage : si quoi que ce soit vous inspire, n'hésitez pas ;)
M
Merci du commentaire^^Oui je pourrais si ca te dit faire des dessins pour illustrer tes articles quand j'en ai le temps, d'autant que ce que tu racontes est assez interressant^^
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  • Un Français du futur visite son pays au XXIème siècle. Une modeste remise au goût du jour des Lettres Persanes de Montesquieu... réfractaires à l'ironie, s'abstenir. Merci à Manou, ma première illustratrice !
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