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Utopia - Juliette M. More

4 septembre 2008

(Entre parenthèses)

Un article rapide, pour dire (merci Killcow ^^) qu'il est peut-être plus facile de lire des blogs que d'en écrire. Et qu'il va devenir de plus en plus difficile pour moi d'écrire un blog, vu que je m'exile à l'ENS LSH de Lyon pour l'année qui vient, et que donc, je n'aurai un accès à Internet que très ponctuel. Donc, mon silence risque de se prolonger encore longtemps. Désolée, mais priorité à l'Agreg (encore !). Et priorité suivante à l'écriture... d'un roman. Donc, ce blog....

Je pense abandonner définitivement Cik et Attik. Mais c'est pas pour autant que je n'ai plus rien à dire. Peut-être un nouveau blog un jour ? En attendant, rien ne vaut la lecture du Canard Enchaîné, quand on veut lire de la bonne critique ^^

Voilà donc. 15 messages sur un petit blog presque mort-né....

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18 juin 2008

Adieu, ou au revoir ?

Sabotage, terrorisme.... Mon cher Attik, ce sont des mensonges.

Je t'écris très rapidement, et c'est ici le dernier message que tu recevras de moi. Je ne reviendrai pas chez nous. Je ne reviendrai pas dans un monde en guerre, aveuglé par un interdit qu'il vénère. Je ne reviendrai pas dans un monde où l'on ne sent pas les saveurs que l'on peut encore sentir ici, le goût de la vie, et parfois, même, un arrière-goût de liberté venu du passé. Je préfère être ici pour empêcher notre pays de devenir ce qu'il est ; ce faisant, je romps la règle primordiale de la non-intervention sur le passé. Advienne que pourra ! Tu ne comprendras pas, évidemment. Ce revirement semble bien brusque. C'est ainsi, mon long silence n'était pas sans raison. J'ai réfléchi. J'ai changé.

Je ne reviendrai pas. Je suis libéré de l'avenir où tu es.

Si tu veux savoir, néanmoins, ce que je deviens, tu le sauras, d'une façon ou d'une autre. Si tu existes encore dans cet avenir que j'espère changer. Drôle de paradoxe. Mais je tremble, aussi, à l'idée que je suis peut-être en train de tuer mon ami. Et moi-même. J'ai le vertige. Il vaut mieux ne pas trop y penser.

Adieu, Attik.

Ton ami pour toujours, Cik

23 mai 2008

Fuite

Mon cher Cik,

L'absence de nouvelles de toi depuis plusieurs semaines m'inquiète. Je te connais, et je n'aurais rien dit en temps normal. Chacun son péché, le tien est la négligence de tes amis. Mais... Cik, qu'as-tu fait ? Ici, ton nom et ton image animée s'étalent partout sur les panneaux d'avis de recherche. On dit des mots, des mots.... on dit "fugitif", on dit "traître". Certains parlent de "sabotage", de "terrorisme". Je préfère t'avertir : les services spéciaux de la Police des Voyages sont partis à ta recherche.

On ne parle pas que de toi d'ailleurs. Le climat de la guerre récemment déclenchée n'aide en rien... mais qu'importe, tu as d'autres soucis, pour l'instant. Je dois faire vite. Je suis ton ami, on me surveille désormais. Puisse cette tablette t'arriver dans les meilleurs délais. Fais attention à toi.

Ton dévoué,

Attik

3 avril 2008

Les mots commençant par R

Mon cher Attik,

As-tu remarqué comme les mots qui commencent par un R sont souvent de "grands" mots ? Rêve, Révolte, Révolution, République, Raconter, Réussir, Rigueur ... Tant de sublimes idées, dans tous ces mots en R ! (Je te connais, tu as déjà pensé à une liste bien moins flatteuse, hélas...) En ce moment, là où je suis, les mots en R semblent omniprésents, et ce ne sont pas toujours les meilleurs. Racisme d'abord, avec ce que l'on appelle déjà "la Banderole de la honte", déployée par des militants d'extrême-droite lors d'un match de foot, dont je n'ose ici répéter les insultes ; Révolte, car il ne se passe plus un jour sans que tels ou tels ne descendent récriminer dans la rue ; Rigueur, le mot qui fait peur, caché par le gouvernement, qui ne veut pas appeler un chat un chat ; Rigueur, qui rime exceptionnellement avec culot, quand, à l'annonce d'un plan d'économie drastique (et indécent, quand on songe au paquet fiscal d'il y a quelques mois) tel dirigeant a encore le cran de dire que, non non, il ne s'agit pas d'un plan de rigueur. C'est bien risible, mais quand on croise ces jours-cis nos ancêtres, leur grise mine montre bien qu'ils n'ont pas envie d'en rire. Le rêve qui les a bercés il y a quelques mois tourne au cauchemar, et ils voudraient bien se réveiller, nos pauvres ancêtres...

Reste la Révolution, cette vieille utopie fondatrice d'une République désormais bien malade ; Révolution, tellement idéalisée dans les livres d'histoire, qu'elle est devenue la tentation des jeunes générations, qui y croient comme à une baguette magique de conte de fées ...

Révolution, le mot que n'a cessé d'avoir à la bouche la charmante Nol, petite-fille de madame Mervoeil. Je l'ai rencontrée lorsque je suis allé prendre le thé chez ma vieille amie, hier... Animée d'un feu passionné qui la rend fascinante.

Allons, c'était ma rêverie poétique du jour, ces mots en r. Je te promets pour bientôt de vraies remarques, réflexions, réactions, comme il te plaira, le tout bien sérieux.... Je te promets de donner à mon retour, de vrais carnets de voyage.

Que la lumière de l'empereur t'accompagne,

Ton ami,

Cik

29 mars 2008

La chair est triste, hélas! et j'ai lu tous les livres. (Mallarmé)

Mon cher Attik,

Je sais, je sais, je tarde à donner des nouvelles. Et je te connais, tu vas croire que je t'oublie. Mais t'imaginerais-tu que ces derniers jours, je n'ai pu penser qu'à toi ? Après tout, tu fais partie des Gardiens Bibliothécaires de la Ville, et je crois bien avoir passé ma semaine à lire, et à lire tant de merveilles dont même nos spécialistes ne soupçonnent pas l'existence ! Vraiment, notre époque n'a conservé intacts qu'un pourcentage extraordinairement faible de l'incroyable production littéraire de ce siècle. Il faudrait, si l'on voulait tout lire, vivre cent vies à ne faire que cela. Notre Empereur serait bien inspiré de faire Voyager des spécialistes pour recueillir toute la production littéraire de toutes les époques et la transférer à la nôtre. Imagine un peu la belle utopie que voilà : une tour, immense, disproportionnée, une Cité même, toute entière remplie de livres, ou, admettons, de puces électroniques (même sous ce format, la place remplie par tant de chefs-d'oeuvre serait incroyablement grande) ; dans cette cité, des dizaines, des centaines de vestales et de prêtres, qui consacreraient leur vie entière à lire, lire, lire ; car lire est presque un service divin, mon ami, ainsi que nous l'enseigne Yabrahmet dans le Livre des Vérités : "Lis les mots des hommes, car ils sont le véhicule des vérités divines", ou un peu plus loin : "Lis sans cesse, apprends à décrypter chaque signe, car c'est dans les mots des hommes que la Divinité te parle des Vérités éternelles.". Alors pourquoi Diable n'y a-t-il pas encore les prêtres et vestales que j'imaginais à l'instant ? Eux seuls, après une vie entière passée à lire, seraient vraiment dignes d'être prêtres. Au lieu que nos prêtres actuels étudient le seul Livre des Vérités, et s'en servent presque comme d'un livre d'oracle, blasphème ! Oui, vraiment, rares sont les bons prêtres qui ont lu autre chose et qui savent en tirer parole de sagesse.

Dans cette Cité utopique, donc, les prêtres et les vestales liraient pendant cinquante ans, et seulement alors, après ce long apprentissage (et encore, ils ne sauraient qu'une infime partie de tout le savoir contenu dans ce temple majestueux !), alors ils quitteraient la Cité pour répandre un peu partout dans le monde Vérité et sagesse, toujours en accord avec Yabrahmet. Ainsi, ces prêtres et prêtresses, empli de la sagesse des siècles tout entiers, seraient le mieux à même de conseillers les rois.... La belle idée que voilà...

A l'heure d'aujourd'hui (je parle du XXIème siècle), les gens lisent peu. Et pourtant, ce n'est pas faute d'avoir matière à lire ! Romans, BD, mangas, essais, poésies, théâtre... Ah, il y a tant de nouveautés qui paraissent tous les ans, qu'il faudrait bien une année entière pour lire la production d'une seule année, et encore, dans notre seul pays ! Savent-ils bien ce qu'ils manquent, tous ces gens qui préfèrent un match de football à l'ineffable plaisir d'un bon livre ? (D'après mon voisin, l'un n'est pas incompatible avec l'autre. Mais mon voisin a toujours des idées étranges...). Ah, je m'aperçois que j'oublie le cinéma. Eh bien, il faudrait tout un quartier, dans notre cité idéale, réservé au cinéma, art encore naissant ici-même, mais qui est promis à une grand avenir... Oui, la belle cité que ce serait !

J'ai lu, lu toute la semaine, et des choses si variées, et qui pourtant m'ont fait me sentir tellement vivant ! C'est une drôle de magie qu'un objet inanimé, par le seul fait de nos yeux, nous procure une telle sensation... d'ailleurs, j'y pense, nos prêtres et nos vestales pourraient se marier et faire des enfants. Ainsi, en sélectionnant sans cesse les plus aptes à un tel office, nous aurions bientôt des êtres humains spécialement aptes à la sagesse... Peut-être, certes, subiraient-ils quelques transformations physiques : à force de lire, assis sur sa chaise, à ne faire travailler que ses yeux et son cerveau, peut-être est-il à craindre que leurs têtes ne deviennent, au fil des générations, disproportionnées. Et ils deviendraient naturellement myopes, je le crains. mais enfin, ce serait la simple rançon de leur sagesse devenue génétique ! La belle Utopie que voilà !

Ah, mon cher Attik, une telle perspective me bouleverse. je te laisse, il me reste encore tant de livres à lire !

Que la sage lumière de l'Empereur soit sur toi.

Ton ami,

Cik.

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15 mars 2008

Joies de la discussion et roman en procès

Cher Attik,

A quelques heures près, voici un mois que je suis parti voyager. Un mois, déjà ! Je n'ai pas vu le temps passer. D'ailleurs, je n'ai pas non plus l'impression d'avoir exploré tout ce qu'il était possible d'explorer dans la capitale, ni d'avoir observé tout que l'on peut observer. Je crois que mon séjour va durer beaucoup plus longtemps que prévu initialement. C'est étrange, ne trouves-tu pas, que je ne ressente absolument pas le mal du pays ! Peut-être est-ce parce que, patiemment, je me suis tissé ici un petit réseau de connaissances aimables avec qui je goûte régulièrement les joies de la discussion à bâtons rompus. Mon voisin de pallier est sans doute celui avec qui je passe le plus de temps. Nos débats me rappellent un peu ceux que nous avions, toi et moi, dans notre adolescence. Ils sont enflammés, et souvent mon voisin incarne en dépit de sa nature la voix de la raison face à ce qu'il appelle mes élucubrations. J'aime aussi la compagnie du patron du kiosque à journaux, qui a pris l'habitude de me voir arriver tous les matins sur le coup des dix heures, et je trouve désormais ma pile de journaux favoris qui m'attend là. Nous sommes devenus, sans nous en rendre compte, un rendez-vous quotidien, attendu et plaisant. De fait, il est rare que je ne passe pas une heure à discuter avec lui, même si, je dois bien le reconnaître, nous parlons le plus souvent de futilités. Mais, en somme, cela est assez agréable. Il me parle de sa famille, et de ses histoires, tellement incroyables et romanesques, que l'on se trouve content de vivre à notre époque : meurtres, règlements de compte, vols, duperies, adultères et autres mesquineries... Cela n'existe plus, avec les Pères et Mères de Quartier, désignés par la municipalité. Et heureusement pour l'équilibre des enfants ! Un jour, je te raconterai les incroyables histoires de mon vendeur de journaux : même nos pires romans n'oseraient pas être faits d'un pareil tissus de drames. Et pourtant, je me plais chaque jour à les écouter.

En parlant de romans, j'ai lu un article curieux, aujourd'hui, dans le Monde. Oh, cela passera inaperçu, car la thèse qu'il défend est insoutenable. Il s'agissait d'un article sur le roman de Mathieu Lindon, Le procès de Jean-Marie Le Pen, publié chez POL. Ledit Monsieur Le Pen a fait un procès à l'écrivain, sous prétexte que les propos qu'il lui faisait tenir dans le roman, n'étaient pas les siens. A quoi on lui a rétorqué : que vous importe, ce n'est qu'un personnage de roman ! Heureusement, les juges ont considéré qu'ils étaient qualifiés pour déterminer si les propos du personnage de roman exprimaient ou non la pensée profonde de l'auteur. Et l'avocat s'en indignait ! Comme si tout ce qu'un homme écrit ne reflétait pas à la lettre et sans ambiguité le fond de sa pensée ! Ah, voilà bien le danger des romans : sous couvert de fiction, personne n'est responsable des mots que l'on y trouve. Quelle subversion, alors... mais le croiras-tu ? Il existe encore des gens, au XXIème siècle, qui osent suggérer que la littérature doit rester un espace de liberté d'expression, et que les auteurs devraient être libre d'écrire même ce qu'ils ne pensent pas forcément. Alors que le roman devrait en fait n'être destiné qu'à la louange de la Vérité, que détiennent nécessairement les hommes qui sont au pouvoir ! Enfin, ce qui me rassure, c'est de voir que les mentalités sont en train d'évoluer. Alors qu'un Flaubert ou qu'un Baudelaire avaient honteusement échappé à la justice, voici que celle-ci apprend à s'ingérer et à s'imposer en littérature. Ce, pour le plus grand bien des peuples.

Mais, je te parlais de mon petit réseau de connaissances. J'y reviens. Il y a la bonne Madame Mervoeil, tu sais, cette femme que j'ai rencontrée dans le train. Nous nous voyons presque tous les jours à l'heure du thé, et c'est pour moi un bonheur. Elle me gave de sucreries antiques, dont le goût, j'ai honte de le dire, dépasse de bien loin celui de nos meilleures confiseries. Quel dommage que nos lois sanitaires empêchent les confiseurs de remettre au goût du jour de tels délices !

Ainsi donc, dans la seule compagnie de ces trois personnes, dans mes longues lectures de journaux, et dans mes flâneries postprandiales, je ne vois pas passer mes journées. Que de perte de temps, diras-tu ! Ah, non ! Dis plutôt que cet enrichissement est le seul qui vaille : je pourrai voir à mon retour tous les musées consacrés au Paris du XXIème siècle. Mais nulle part ailleurs que maintenant je ne pourrai aussi bien m'y immerger, y devenir un homme du passé. Voilà pourquoi je prends mon temps, comme je l'entends, "en dehors des circuits traditionnels" certes, mais avec un plaisir qui s'en trouve d'autant plus grand.

Que la lumière de l'empereur t'accompagne.

Ton ami, Cik.

13 mars 2008

Euthanasie, suicide assisté : une société face à la mort

Cher Attik,

Je suis sensible aux reproches que tu m'adresses dans ta dernière tablette, et je les trouve bien infondés. Bien sûr, que je pense à la Mère du Quartier Sud ! Et les nouvelles régulières qu'elle me donne, permets-moi de te le dire, sont bien plus précises que les parcelles d'informations que tu me livres à la va-vite ! Ainsi, nous sommes quittes pour les reproches. Place, à présent, aux nouvelles.

Bien sûr, je pourrais te parler des élections municipales, ou de la visite controversée du Président Israélien en France, ou encore des futilités d'une émission à la mode. Mais je préfère t'écrire ma perplexité sur un autre sujet. J'étais à la campagne ce matin encore. Dans le train qui me ramenait à Paris, je me suis retrouvé à côté d'une veille dame qui lisait assidûment je ne sais plus quel journal. Fatiguée par sa lecture, elle s'endormit bientôt, laissant le journal grand ouvert. Une phrase me tomba sous les yeux : "Chantal Sébire, femme atteinte d'une tumeur incurable au visage a saisi le président du tribunal de Dijon pour demander à être euthanasiée, dans une affaire qui pourrait relancer un débat ancien.". Dans l'article étaient évoquées avec beaucoup de pudeur les souffrances terribles auxquelles doit être confrontée cette pauvre femme, que je plains de toute mon âme. Mais voici ce qui me laisse perplexe : une querelle de vocabulaire, au sein de ce même article. La récente Loi Léonetti (qui a servi de base pour certains de nos actuels textes de loi sur l'euthanasie) autorise la "sédation", c'est-à-dire le fait de plonger le patient dans un profond coma qui se révèle mortel au bout de quelques semaines ; mais, curieusement, elle refuse l'euthanasie active. Or, qu'est-ce que la sédation, sinon un suicide assisté ? La seule différence est la durée : avec l'euthanasie active, oui, on tue quelqu'un, mais presque instantanément ; tandis qu'avec la sédation, il se passe parfois plusieurs semaines avant la mort : on "laisse mourir". Pourquoi autoriser l'un et pas l'autre ? J'en viens à croire que c'est par une espèce de scrupule hypocrite : on n'a pas l'impression d'avoir tué, quand il se passe plusieurs jours entre l'acte médical et la mort effective, on croit avoir la conscience tranquille. Et ces derniers mots sont symptomatiques de l'état d'esprit de nos Ancêtres : même quand l'acte se justifierait pleinement, comme dans le cas de cette femme, ils continueraient d'avoir "mauvaise conscience". Cela serait-il fondé ? Ah, je n'en sais rien : ces problématiques nous sont par trop étrangères, nous avons si bien aseptisé la mort qu'on ne l'appelle plus, dans notre politiquement correct, que le Sommeil Final.

Tu me diras sans doute : "Mon ami, tu assistes là aux émouvants débuts de notre société moderne : regarde-les, qui hésitent encore, qui avancent prudemment comme des enfants qui apprennent à marcher ! Ah, ces doutes stupides, ces angoisses irrationnelles, alors qu'il n'y a rien de plus naturel que de tuer son prochain dans des centres de Sommeil Final, quand véritablement il devient un poids pour lui-même et pour la société, parfois même sans en avoir conscience !". C'est que je commence à me demander si c'est si naturel que cela.... Je n'ai pas besoin de te rappeler les récentes affaires de meurtres commis sous prétexte d'euthanasie, qui ont défrayé chez nous la chronique. Non, ce n'est pas cela qui m'interpelle. Je crois qu'il y a chez nos Ancêtres un respect fondamental, et presque viscéral de la vie, une conscience aiguë de sa fragilité, en somme, il y a cette certitude intime que la Vie est sacrée. Le sentiment véritablement naturel est celui du respect fondamental et inconditionnel de la Vie. Et ce sentiment, j'ai l'impression qu'il n'existe plus chez nous... peut-être est-ce regrettable. Mais je suis au bord du blasphème, je m'arrête là.

Quand la vieille dame s'est réveillée, le train arrivait. Elle m'a vu, pensif, avec son journal entre les mains. Il n'en n'a pas fallu davantage pour engager la conversation. Elle m'a dit quelque chose de très juste, je crois : "De quel droit pourrions-nous ôter une vie que nous n'avons pas le pouvoir de rendre ? Mais, d'un autre côté, de quel droit pourrions-nous refuser à nos semblables l'aide et le soulagement qu'ils réclament ? Certaines personnes suggèrent que dans le débat de l'euthanasie se joue un affrontement plus profond, qui est celui des anciennes valeurs chrétiennes avec la société moderne. Je crois, pour ma part que cela est faux : la question de l'euthanasie est, de mon point de vue, une question tragique par excellence : car en chacun de nous s'opposent sur le sujet deux valeurs aussi fondamentales et justes l'une que l'autre : le respect de la Vie et la compassion pour son semblable. Il nous est par essence impossible de trancher."

Tant et si bien que nous avons fini cette discussion chez elle, autour d'une tasse de thé (le goût de ce thé !). Je crois bien m'être fait une amie de cette vieille dame si judicieuse. Je retournerai sans aucun doute la voir pour discuter.

Mais je suis affreusement long. Je m'arrête ici pour aujourd'hui. Mon récit bucolique attendra encore un peu, et pourtant, j'ai de grandes choses à te raconter ! Que la lumière de l'Empereur t'accompagne.

Ton ami,

Cik.

8 mars 2008

Reproches d'un ami inquiet

Cher Cik,

Sept jours sans nouvelles ! Que se passe-t-il ? Même ta dernière tablette me semble fade, comparée à ce que tu m'écris d'ordinaire ! As-tu seulement pensé à envoyer un petit mot à la Mère du Quartier Sud pour lui raconter ton voyage ? Je suis sûr que non, ingrat que tu es ! Quand je songe à cette pauvre vieille femme, et à tous les sacrifices qu'elle a dû faire pour nous élever, nous, la génération septembre-décembre 2905 ! L'abandonneras-t-u pour les délices du XXIème siècle, toi, qui étais son favori de la cinquantaine que nous étions ? Et le père du Quartier sud, t'es-tu rappelé que son anniversaire approchait ?

Et puis, cette dernière tablette, dans laquelle tu bavardes sans rien d'intéressant... elle ne te ressemble pas, je dois bien l'avouer... Ton ami se permet de te morigéner, vois-tu ! Ah ! Rassure-moi vite : ne me caches-tu rien ? As-tu assisté à quelque scène choquante, s'est-il passé quelque chose de grave ? Mais, je divague, oui, c'est cela : pas de nouvelles pendant sept jours ! Sais-tu qu'ici, la Brigade des Disparitions serait à ta recherche depuis longtemps ? Méfie-toi de ne pas devenir un libertaire tels qu'il en pullule à l'époque que tu visites ! Sinon, c'est la quarantaine qui t'attends à ton retour !

Allons, je ne peux m'attarder davantage. Mes obligations de Grand Flagellant m'appellent. J'espère que tu trouveras le moyen de me joindre par tablettes, quand tu seras à la campagne (La campagne ! Quelle idée farfelue ! Et en dehors des circuits traditionnels ! Décidément, cela m'inquiète...). Ecris-moi vite.

Ton ami inquiet,

Attik.

4 mars 2008

Bavardage

Cher Attik,

Je suis désolé de ne pas te donner de nouvelles aussi souvent que tu le voudrais, mais, que veux-tu, le tourbillon de la vie parisienne me rend égoïste. Je prends des tics de la ville : je regarde mes pieds de peur de marcher sur quelque ordure ; mais je relève le nez au premier mendiant que je croise, plutôt que de lui adresser un Regard de Compassion ; j'excelle dans l'art de me donner l'air absent quand un importun est pris d'un désir manifeste et pressant de m'adresser la parole. J'admire en habitué les charmes surannés de la Ville, et je m'inquiète davantage d'avoir une place dans le métro que de tout le reste. Eh bien, il semblerait que je sois tombé dans tous les pièges que je me promettais d'éviter ! J'en ai parlé à mon voisin, qui en a profité une nouvelle fois pour tenter de savoir d'où je venais. Je ne peux pas lui répondre la vérité, bien sûr. Je lui ai dit que j'étais Belge, mais sa seule réaction a été : "Non, l'accent n'est pas Belge...". Il méditait sur cette question et se parlait tout seul, à voix haute, alors même que j'étais juste à côté de lui : "Il y a quelque chose de l'Anglais, mais on dirait un Anglais qui aurait vécu à Clichy, élevé par une nurse chinoise..." Puis, se tournant vers moi en riant : "Vous n'avez, en somme, pas du tout l'air d'un belge." Il devra pourtant s'en contenter, car c'est ce que l'Agence m'a conseillé de dire : les Experts de notre époque ont, paraît-il, déterminé que notre accent était proche de celui des belges du XXIème siècle... C'est bien la première fois que je me vois obligé de prendre en défaut nos infaillibles experts... Du moment que, par la grâce de l'Empereur, ils ne se trompent pas sur le reste !

J'ai donc parlé de mon parisianisme croissant à mon voisin. Nous prenions l'apéritif chez lui (savais-tu qu'il existe un délicieux apéritif nommé Martini en concentration cent fois supérieure au nôtre ? Quel goût décuplé ! Mais, pas de panique, je n'en ai goûté qu'une gorgée, pour voir.). Il m'a dit :

"Ah, non, mon cher, vous ne devenez pas Parisien pour un sou, rassurez-vous. Vous faites simplement comme tous les voyageurs au long cours, qui font de long séjours à l'étranger : les premiers temps, ils oublient comment ils se comportaient chez eux, car ils sont grisé d'exotisme. mais très vite, les petits travers communs à l'humanité tout entière, je dis bien tout entière, les rattrapent ; et voilà qu'ils se comportent comme à leur habitude. Le dépaysement les avait changés sans qu'ils s'en rendent compte : mais le retour à l'état normal leur rappelle brutalement ce qu'ils sont vraiment... Évidemment, jamais aucun voyageur n'admettrait cela, et vous-même..."

Je crois que mon voisin est psychologue, ce qui expliquerait sans doute ce beau discours. Mais je t'imagine en train de rire comme je n'ai pas osé le faire devant lui : car les ordures dans les rues, les clochards, cela n'est pas notre réalité, n'est-ce pas ? Et le Devoir de Civilité nous impose de ne pas négliger ou ignorer notre prochain. Donc, je reste persuadé que le mauvais air de paris m'influence plus que le bon. Mon voisin a clos la discussion en me suggérant de passer quelques jours à la campagne. Je crois bien que je vais suivre son conseil. J'espère seulement que je n'éprouverai pas, une fois loin de Paris, ce désir irrépressible qui caractérise ses habitants d'y retourner le plus vite possible, alors même que, quand ils y vivent, ils ne pensent qu'à en partir...

Je m'arrête là pour ces considérations de la vie courante. Mais sois certain que dès ma prochaine découverte, tu seras le premier informé !

Que la douce lumière de l'Empereur berce ton âme.

Ton dévoué,

Cik.

26 février 2008

L'Indignation, une qualité ou une faiblesse ?

Mon cher Attik,

Je ne résiste pas au plaisir de t'envoyer mes considérations d'ethnologue en vacances quelques heures à peine après ma dernière tablette. Plus le temps passe, plus je retrouve avec délices chez nos ancêtres cette qualité qui a fait de notre peuple un parangon de la liberté et de l'humanisme : la capacité d'indignation. L'homme qui s'indigne est un homme qui remet en cause ce qu'il voit, ce qu'il vit ; l'homme qui s'indigne fait un pas dans la voie de l'amélioration de l'humanité. Car l'homme qui s'indigne montre qu'il a des valeurs auxquelles il est attaché. Le tout étant de s'attacher aux bonnes et universelles valeurs. Notre peuple a toujours eu les bonnes valeurs, et c'est à force d'y être attaché qu'à notre époque, il ne s'indigne plus : c'est que nous vivons dans le meilleur des mondes !

Pour l'heure, nos ancêtres s'indignent, et de plus en plus. En quelques jours, la mémoire d'un enfant victime de la Shoah pour chaque élève de CM2, la volonté présidentielle d'outrepasser la décision du Conseil Constitutionnel sur la loi de rétention de sûreté, l'insulte que le même lance en réponse à celle d'un quidam, l'interview réécrite du Parisien, tout cela provoque un peu partout la plus haute indignation. Peuple admirable que le nôtre, toujours vigilant, sans cesse prêt à protester au nom des valeurs universelles ! Mais ce qui fait sa force, cette indignation même, est en train de faire sa faiblesse : à s'indigner sans cesse, nos bons Ancêtres ne s'indignent plus durablement ; et puis, on ne peut pas niveller l'indignation. Comment dès lors, au milieu des provocations quotidiennes, repérer et retenir ce qui est le plus grave ? Ce serait comme demander en temps de guerre à l'armée de Suisse d'aller couvrir tous les fronts en Russie : à un moment donné il est impossible de s'indigner de façon efficace. Et pendant que l'on s'indigne (à juste titre) d'un "casse-toi pauvre con", on en oublie que quinze jours plus tôt on jugeait la notion de "rétention de sûreté" comme un avatar moderne de l'embastillement sur lettre de cachet. On en oublie que le fait même de prolonger une peine par laquelle, selon la Justice, un criminel a purgé ses crimes, va à l'encontre du principe fondamental de la Justice : seul peut être puni le crime commis, et non la possibilité du crime. Qui se souvient, parmi les justes indignés de l'insulte présidentielle, que le Canard Enchaîné a publié un rapprochement intéressant entre cette loi et celle qu'Hitler avait fait voter peu de temps après son élection en 1933, sur le même thème ? Il semble bien que certaines personnes jouent sur cette qualité d'indignation de notre peuple pour lui faire oublier que de grands principes, en douce, sont bafoués. C'est le mécanisme du rideau de fumée.

Je ne dis pas, évidemment, que laisser sortir les meurtriers en série, les violeurs d'enfants, et tous les autres monstres de la société au bout de quinze ans de prison soit une bonne chose. Mais plutôt qu'une loi bafouant un principe fondamental de Justice, on ferait mieux d'instaurer une véritable peine de perpétuité grâce à laquelle ces monstres expieraient leurs crimes derrière des barreaux jusqu'à leur mort.

Je m'emporte, je m'indigne à mon tour, et j'aurais encore beaucoup à dire sur le sujet. En tout cas, je trouve que notre Régime est bien plus sage, puisque personne chez nous ne s'indigne plus. Certains mauvais esprits du XXIème siècle iraient prétendre que c'est seulement parce qu'on nous a amolli le cerveau (je pense à mon voisin de pallier, avec qui je discute régulièrement). Mais ce n'est que fantasme...

Que la douce lumière de l'Empereur t'accompagne,

Ton ami,

Cik.

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  • Un Français du futur visite son pays au XXIème siècle. Une modeste remise au goût du jour des Lettres Persanes de Montesquieu... réfractaires à l'ironie, s'abstenir. Merci à Manou, ma première illustratrice !
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